Féminisme et acte politique : pourquoi la mode d'Euphoria s'impose en 2022 ?
- Augustin Bougro
- 11 févr. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 août 2022
Mon intérêt pour la mode dans la série Euphoria commence en 2019. A l’époque, je suis journaliste mode stagiaire pour le magazine Grazia, et une amie (elle aussi stagiaire) propose un sujet : « Ces personnages de séries qui influencent la mode ». En gros, un focus sur six personnages tirés des séries du moment et décrypter en quoi le style vestimentaire de ceux-ci n’est pas à prendre à la légère. J’ai trouvé l’idée géniale, en bon fan de pop culture que je suis, et j’ai lu son papier lorsque celui-ci était en ligne. Entre Eleven de Stranger Things et Eric de Sex Education, on retrouvait Kat d’Euphoria. « Idem pour Kat Hernandez (Barbie Ferreira) de la série Euphoria qui, à travers un changement de look mi-punk, mi-BDSM, explore sa personnalité et sa sexualité », détaillait l'article. C’est pourtant bien plus tard, lors du deuxième confinement de 2020, que j’ai lancé la série pour la première fois. Dès le premier épisode, j’ai été très mal à l’aise, et j’ai décroché. Il faudra attendre un an pour que je m’y remette. Merci TikTok et Instagram.
Euphoria : le pouvoir d’un teen drama
Le premier épisode de la saison 1 d’Euphoria est dévoilé au grand public le 16 juin 2019 sur HBO, chaîne de télévision que je fréquentais depuis le lancement de Game of Thrones. Un lycée, des ados issus de la Gen Z en quête d’identité, du drama, des rebondissements en veux tu en voilà, et surtout, des fringues. Dans l’idée, ce projet signé Sam Levinson avait tout pour me plaire. Mais l’aspect mode n’était pas assez fort face au côté très violent du premier épisode pour me caser parmi les consommateurs de la série à succès. Dixit, je tiens à le préciser, d’un mec complètement accro à Shameless US qui aborde exactement les même problématiques qu’Euphoria. Sauf que dans Shameless, ça se passe dans une maison familiale des quartiers sensibles de Chicago, et non pas dans un lycée.
Pour aller plus loin >>> « Affichées », le podcast de Madmoizelle : « Les teen movies : façonneurs de jeunes femmes since 1980 »
Puis un jour, en scrollant pour la centième fois de la journée mon feed Instagram, je me rends compte d’une chose : Euphoria est partout. C'est un hashtag, un montage vidéo posté par un compte fan suivi par des milliers de personnes à travers le monde (et quelques-uns de mes abonnés), un Reels qui présente un « Get The Look » tiré des personnages de la série. Sans parler de Zendaya. Révélée en 2010 par Disney Channel, l’actrice de 25 ans a aujourd’hui tout d’une grande. Une filmographie saluée par la critique (« Malcolm et Marie », « Dune »…), une influence considérable sur Instagram (128 millions d’abonnés), des couvertures de magazines de mode à foison, mais aussi, voire surtout, un rôle, celui de sa vie : Rue Bennett, anti-héroïne junky de 17 ans qui se bat au fil des épisodes contre ses démons. Dans la série, la jeune femme interprète avec subtilité et intelligence cette adolescente pommée et attachante.
Sur les réseaux, chaque publication identifiée « Zendaya » fait le buzz. On scrute ses faits et gestes. On recopie ses looks. On chante ses louanges. Ce que ses admirateur.ices aiment par-dessus tout, c’est son côté accessible. Sa façon de s’arrêter dans la rue lorsqu’elle croise un fan de la série et de lui proposer une photo (si ce n’est carrément un FaceTime avec un.e autre acteur.ice au beau milieu d’un restaurant). « Zendaya est tellement cool », raconte Louise, 16 ans. « Elle a tout pour elle : la beauté, le talent, l’influence. Tout ce qu’on aimerait avoir nous, en tant que lycéennes. Mais contrairement à d’autres « influenceuses », j’ai l’impression qu’elle n’a pas ce côté toxique. Elle a l’air tellement accessible et gentille ». Alors forcément, on a envie de lui ressembler. Et ça commence par les vêtements.
Eyeliner, gloss et chocker à strass
Côté style, Euphoria a de quoi faire parler. La jupe est mini et en cuir. Le top maxi décolleté et transparent. Les cheveux décolorés ou colorés. Le maquillage marqué et pailleté. Ce que l’on en retient : que le dressing des personnages en dit long sur notre société post-MeToo. Que le nombril apparent de Maddy reflète l’obsession des jeunes pour la tendance Y2K importée par le confinement de 2020. Que les silhouettes sexy affichées par Kat n’ont pas pour objectif de questionner la notion de body-positivisme, mais plutôt de faire en sorte que celle-ci ne soit plus un sujet. Que le moulant et les bijoux de Carrie mélangent des codes comme imaginés en collaboration avec Kim Kardashian, Paris Hilton et Britney Spears. Au lycée, en 2022, on s’habille comme on l’entend. Exit le qu’en-dira-t-on et les politiques qui sexualisent le crop-top. On assume son corps, ses formes, et ses convictions féministes en mettant du gloss. Un geste décrypté récemment par la journaliste mode Alice Pfeiffer dans un article du Nylon, qu’elle décrit comme une « expression littérale et symbolique d’un besoin de visibilité ». Finalement, un geste féministe.
Et sur TikTok, les jeunes adorent. Bel et si bien qu’un challenge (#EuphoriaHighSchool) est récemment né sur la plateforme d’hébergement de vidéos. L’idée : se filmer dans sa tenue basique de lycéen.ne, puis repasser face caméra avec une tenue « Euphoria ». Le résultat est hilarant, et les utilisateurs s’en donnent à cœur joie. Mais si ça fait rire, beaucoup de jeunes voient derrière le style néon et un tantinet provoc des personnages d’Euphoria une façon de sortir d’un quotidien trop lourd. « Avec Euphoria, on trouve enfin de quoi s’inspirer », explique Clara, lycéenne et TikTokeuse de 17 ans. « On a l’impression d’avoir le droit de sortir avec les vêtements qu’on veut, de retrouver nos camarades dans les couloirs du lycée avec des tenues excentriques. Et que personne ne pourra nous juger, car c’est porté dans Euphoria, et donc que c'est cool ». Avoir l'impression d'avoir le droit. Comme si porter un décolleté était interdit. C'est dire.
Des outfits qu’on ressort des placards, qu'on dépoussière et qu’on customise pour se faire remarquer dans la vraie vie, et non plus seulement à travers les écrans. En 2020, si la tendance Bratz Doll signait son grand retour, Euphoria y était sûrement pour quelque chose. Même chose pour toutes les tendances beauté qui émergeaient à ce moment. Le strass entourait les yeux ? Euphoria. Les faux cils s’allongeaient à l’infini ? Euphoria.
Pour aller plus loin >>> Vogue US : The 2014 Tumblr Girl Is Back
Un retour de flamme qui n'est pas sans rappeler l'an 2014, âge d'or de Tumblr, plateforme sur laquelle les ados de l'époque partageaient des photos sombres, des citations qui transpiraient le désespoir, et glorifiaient les chanteuses indie pop/punk à l'instar de Lana Del Rey et Lorde. Avoir un compte Tumblr, c'était être le cool kid de l'époque : celui qui pouvait se teindre les cheveux, faire couler son mascara, écouter du Green Day, et réciter du Freud en même temps. Le tout en étant incollable sur Skins, série de 2007 que beaucoup voient comme le "Euphoria vintage".
Aujourd’hui, après trois ans placés sous le signe d'un virus, on reproche aux jeunes de moins s’exprimer dans les urnes. Mais s’exprimer à travers un style tout droit importé d'une série qui leur parle plus que n'importe quelle allocution, n'est-ce pas digne d'un acte politique ?
Par Augustin Bougro
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